Architecture navale

Le guindeau à brimbales des voiliers terre-neuviers

Guindeau à brimbales d’un trois-mâts goélette terre-neuvier de saint Malo en 1927 (Photo agence Rol sur Gallica)
Guindeau à brimbales d’un trois-mâts goélette terre-neuvier de saint Malo en 1927 (Photo agence Rol sur Gallica)

 

Le guindeau est le treuil à axe horizontal servant à relever le mouillage du navire. Le principe du guindeau est très ancien remontant à l’antiquité, on en trouve également sur les plus grands navires vikings pour hisser la grand-voile. Il se généralisera en Europe sur tous les navires de taille moyenne. Initialement les guindeaux étaient à barres de guindeau, fort levier de bois s’enfichant dans les mortaises du guideau pour le faire tourner, l’ajout d’une roue dentée et d’un linguet permet de contrôler et de bloquer la rotation en sens inverse.

 

Dans les années 1870 des forgerons de marine inventent et perfectionnent le guindeau à brinquebales, ce guindeau se généralisera sur tous les voiliers de cabotage assez importants ainsi que sur les goélettes de pêche à Islande, c’est à bord des voiliers terre-neuviers pratiquant la pêche sur les bancs de terre-neuve que ce guindeau est particulièrement utile. La force humaine exercée par l’équipage est fortement démultipliée sur la chaîne.

 

J’emprunte à Jean Le Bot dans le livre « Bateaux des côtes de Bretagne nord » le schéma et la description du guindeau à brimbales d’un navire terre-neuvier de St Malo. Brimbales est l’appellation en usage au pays malouin pour les brinquebales. Tout le vocabulaire technique de cette description est celui employé par les marins, les charpentiers et les forgerons du pays malouin, il peut différer du vocabulaire maritime standardisé. 

 

Guindeau à brimbales (Dessin Jean Le Bot dans « bateaux des côtes de Bretagne Nord »)
Guindeau à brimbales (Dessin Jean Le Bot dans « bateaux des côtes de Bretagne Nord »)

 

« Le bâti du guindeau extrêmement robuste comprend d’abord le chaumard (a) forte pièce de chêne prenant appui sur la carlingue et sur lequel vient se fixer l’étai du grand-mât. La tête du chaumard porte le balancier (b) et sur sa face arrière à la partie inférieure est fixé la boîte à linguets dont les pales en engrenant dans les dents d’une roue à rochet (c) appelée chemise et fixée au centre de la mèche empêchant le guindeau de dévirer. Le bâti est complété par deux ensembles bâbord et tribord, constitués par l’assemblage sur la semelle du guindeau, fortement liée au barrotage, de la dame(d), de la contre dame (e) et du taquet de dame (f) ; entre la dame et la contre dame est fixée une pièce de fonte en deux parties dont l’assemblage forme le palier. La contre dame est démontable pour pouvoir dégager l’axe du guindeau, c’est la seule manière pour faire échapper les linguets et faire dériver le guindeau de quelques tours en cas de nécessité. Le corps du guindeau proprement dit comprend un axe en acier de section carrée tourné aux deux extrémités, sur cet axe est emmanchée la mèche en bois en deux morceaux assemblés par des frettes, l’extérieur de la mèche forme deux pyramides octogonales sur lesquelles sont emboîtées les roues dentées d’entraînement (g) et au centre la chemise (c) dont il a été question plus haut, enfin à l’extérieur des dames, deux poupées (h) sont solidarisées avec l’axe. Les 8 pans de la mèche sont recouverts de garnis en bois, eux-mêmes ferrés par des lattes, 4 des garnis reçoivent les choqueurs (k) fortes pièces de fonte solidement clouées dans la mèche.

 

Le mécanisme du guindeau comprend d’abord un balancier (b) oscillant sur une forte pièce de fonte fixée à la partie supérieur du chaumard, deux mortaises carrées aux extrémités du balancier reçoivent les brimbales (l) sur la barre desquelles sont frappées cinq ou six tire-veilles (m) servant à manœuvrer le guindeau.

 

Le mouvement du balancier est transmis au guindeau par deux bielles qui s’articulent à l’extrémité de deux pièces en fonte : les jambons (n), ceux-ci en deux parties contiennent des cliquets qui viennent prendre dans les dents des roues lorsque le jambon monte et échappent au contraire lorsque le jambon descend. 

 

Pour manœuvrer le guindeau on range des hommes sur les tire-veilles et ils communiquent au balancier le mouvement qui entraîne le guindeau ; parfois, pour déraper l’ancre on est obligé de mettre tout le monde d’un même bord et on fait changer de côté à chaque balancement ; tout devient plus aisé quand il s’agit pus que d’embarquer la chaîne car généralement  on ne file que 3 ou 4 maillons (un maillon fait 27,50m)  mais par mauvais temps lorsque l’on avait dû sortir jusqu’à 8 ou 10 maillons il fallait, pour rentrer toute cette chaîne 3 ou 4 heures de travail au guindeau. »

 

Plan d’un guindeau de 12 pouces du chantier Gautier à ST Malo vers 1920 (fond Gautier archives municipales de St Malo)
Plan d’un guindeau de 12 pouces du chantier Gautier à ST Malo vers 1920 (fond Gautier archives municipales de St Malo)
Plan d’un trois-mâts goélette de cabotage chantier Gautier St Malo vers 1920 (fond Gautier archives municipales de St Malo)
Plan d’un trois-mâts goélette de cabotage chantier Gautier St Malo vers 1920 (fond Gautier archives municipales de St Malo)
Implantation du guindeau en avant du capot de descente du poste d’équipage pour un voilier caboteur (Détail du plan précèdent)
Implantation du guindeau en avant du capot de descente du poste d’équipage pour un voilier caboteur (Détail du plan précèdent)

 

Sur les navires terre-Neuvier le guindeau est particulièrement important, la pêche se pratiquant à partir des doris, le navire étant au mouillage sur les bancs.  Le navire mouille au large par 60 à 150 m de fond. Et change régulièrement de mouillage quand la pêche ne fait pas satisfaction.  Les chaînes de mouillages pour les bancs sont particulièrement solides.

 

Par rapport aux navires de cabotage semblable et aux goélettes faisant la pêche à la morue en dérive en Islande, le guindeau des terre-neuviers est d’une taille plus importante et est situé juste en avant du mât de misaine pour que la place pour manipuler les brimbales

 

Implantation du guindeau sur un trois-mâts goélette terre-neuvier juste en avant du mât de misaine (Dessin Jean Le Bot dans « bateaux des côtes de Bretagne Nord »)
Implantation du guindeau sur un trois-mâts goélette terre-neuvier juste en avant du mât de misaine (Dessin Jean Le Bot dans « bateaux des côtes de Bretagne Nord »)
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Le Français et le Pourquoi-Pas? les deux navires polaires construits à Saint-Malo

Le Français en Antarctique 1903-1905  (Coll part)
Le Français en Antarctique 1903-1905 (Coll part)

 

 

Le 16 septembre 2016,  ce sera le triste 80ème anniversaire de la disparition du Pourquoi et de son équipage dans son naufrage en Islande

 

Le nom du commandant Charcot est indissociable de son bateau le Pourquoi-Pas. cependant  Jean Charcot a eu au préalable plusieurs navires, beaucoup ont porté le nom de Pourquoi-Pas. Un article très complet de Gilles Millot  a été publié en 1986 dans le N°24 du Chasse-Marée  Les deux navires neufs spécifiquement conçus  pour les explorations polaire ont été construit à Saint-Malo au chantier Gautier : le Français en 1903 et le Pourquoi Pas ?, quatrième du nom en 1908.  Le lien entre Jean Charcot et le pays de Saint-Malo restera très fort, Charcot achètera à cette époque une jolie villa en bord de Rance  qu’il nommera la Passagère

 

 

 

Avant-projet du Français par Boyne publié dans le journal le Yacht
Avant-projet du Français par Boyne publié dans le journal le Yacht

 

 

Le Français 1903-1907

 

Ce navire construit pour les exploration polaire devait initialement  s’appeler le Pourquoi Pas comme les précédents voiliers du commandant Charcot et être le quatrième à porter ce nom .  A quelques semaines du lancement son nom est changé sur cale pour remercier les investisseurs dans le projet, en particulier les lecteurs du journal le Matin qui  avait lancer une souscription permettant à Charcot de boucler son projet  les soutiens sont nombreux même si la part de l’état était bien faible. 

 

Pour la description du Français laissons la parole au Docteur Charcot, voici la description qui écrit à son retour dans le récit de l’expédition « le Français au Pôle sud » publié en 1906.

 

Jean Charcot
Jean Charcot

 « Le bateau qu’il nous fallait devait être d’une construction spéciale en bois, car, en fer, il n’aurait pu résister aux chocs des glaces. il devait aussi être aménagé pour le but que nous nous proposions.

 

Mon ami M. Boyn, directeur du journal le Yacht et de l’agence générale maritime, mit avec son habituelle bonne grâce, toute sa compétence à ma disposition. vraiment nous avons cherché ensemble, dans les pays qui arment pour la pêche au phoque et à la baleine, un navire d’occasion approprié. nous avons décidé alors de tenter une expérience et nous nous sommes adressé à la Société des chantiers et constructions navales de Saint-Malo, ayant à sa tête le « père Gautier », dont la réputation n’est plus à faire dans la construction des navires destinées à la pêche à la morue sur les bancs de terre-Neuve et en Islande.

Le problème que nous lui posions était difficile à résoudre, il nous fallait un navire extra-solide livré dans un laps de temps très court et cependant bon marché. La vaste étendue de mer qui nous séparait de l’Antarctique et les conditions spéciales de navigation dans ces régions ne nous permettaient pas d’adopter les formes particulière du Fram, mais nous exigions des lignes telles que le moins de surface plane possible fût exposé aux pressions des glaces, en même temps qu’elles devaient nous assurer un bateau très marin.

Les plans qui nous furent soumis étaient satisfaisants à tous les points de vue et il serait difficile, je crois, de trouver, avec de meilleures formes, une coque plus solide que celle qui nous fut livré.

Les dimensions du bateau étaient les suivantes :

Longueur 32 mètres, largeur 7,54 mètres, creux sur quille 4,20 mètres.

Un bateau un peu plus grand eût été désirable, mais les moyens dont nous disposions nous obligeaient à rester dans les limites précédentes. Nous nous en consolions d’ailleurs en songeant que nous pourrions, grâce à ses faibles dimensions, évoluer plus facilement dans les glaces, pénétrer dans les petites anses, et que, devant naviguer généralement sans cartes, un faible tirant d’eau [3,75m] nous permettrait, dans la plupart des cas de voir le fond avant qu’il ne devînt dangereux pour nous.

 

 

 

Le Français juste avant son lancement aux chantier Gautier, il fut lancé gréé de ses trois-mâts et équipé de sa machine et chaudières
Le Français juste avant son lancement aux chantier Gautier, il fut lancé gréé de ses trois-mâts et équipé de sa machine et chaudières

 

Les particularité du Français peuvent se résumer ainsi. Le navire était entièrement en chêne, sauf le bordé dans les petits fonds qui était en orme et le pont en pitchpin. toutes les pièces entrant dans la construction étaient d’échantillons trois fois supérieurs à ceux exigés par le bureau Véritas pour un navire du même tonnage ; au niveau de la flottaison pour pouvoir résister aux chocs et aux pression, il était renforcé par de solides barrots transversaux. L’avant formait une véritable masse de bois compacte, et l’étrave arrondie pour pouvoir grimper sur la glace et la briser par le poids même du bateau, était garnie d’une armature de bronze qui, sur le conseil de Larsen, fut encore renforcée à Buenos Aires par de solides ferrures en V. un soufflage de 8 centimètres d’épaisseur protégeait la coque contre l’usure et les chocs des glaces. La forme de l’arrière, l’enfoncement de l’hélice prouvèrent par la suite qu’ils étaient bien appropriés pour la navigation dans les glaces. L’hélice pouvait au besoin être remontée par un puits.

 

Un feutrage de 2 centimètres d’épaisseur garnissait le vaigrage dans tous les appartements et se trouva très efficace et indispensable même par des grands froids.

 

Le gréement adopté fut celui de trois-mâts goélette avec hunier fixe et volant.

 

La machine auxiliaire de 125 chevaux, achetée d’occasion, était évidemment trop faible pour le bateau, mais nous n’avions plus assez d’argent pour nous en procurer une autre et il fallait nous en contenter. La vapeur était fournie par deux chaudières multitubulaires neuves. Les avantages des deux chaudières de ce type, acquis au détriment de la robustesse sur une chaudière ordinaire, résidaient pour nous dans la mise en pression rapide, la moindre consommation de charbon et la possibilité de servir d’une seule chaudière mais ces avantages étaient largement contrebalancés par l’obligation d’alimenter à l’eau douce.

 

Nous avions un excellent treuil-guindeau à vapeur, fourni par la maison Libaudière et Mafra de Nantes.

 

J’attachais une très grande importance à ce que les logements fussent aussi confortables que possible. Partout il y avait 2 mètres sous barrots et chose fort appréciable, chaque membre de l’état-major avait sa propre cabine.

 

Le poste petit jusqu’à notre arrivée dans l’Antarctique, pût être facilement agrandi, dès que certaines soutes commencèrent à se vider, et devint ainsi très spacieux. les hommes avaient pour se coucher chacun leur « cabane », sortes de lits bretons pouvant se fermer, et leur permettant d’avoir leur petit coin à eux. Les sommiers élastique en lattes de bois étaient les mêmes pour l’équipage que pour l’état-major, ainsi que les matelas rembourrés en kapok substance d’une valeur inappréciable pour des expéditions comme la nôtre, puisqu’elle ne prend jamais l’humidité et qu’elle fournit en même temps un excellent couchage.

 

Le laboratoire sur le pont avait été installé avec le soin le plus méticuleux et la plus grande ingéniosité par J. Bonnier directeur du laboratoire de Wimereux. Enfin nous pouvions emporter 60 tonnes de vivres ou de matériel en soutes, 110 tonnes de charbon et 2 tonnes de pétrole.

 

Le départ, forcément trop hâtif, ne nous permit pas de faire des essais suffisants ; nous devions partir, nous sommes partis ; mais si la coque était parfaite et le bateau remarquablement bon à la mer par gros temps, sa voilure mal équilibrée ne nous permettait pas de virer de bord vent debout lorsque les feux étaient éteints et nous gagnions à peine au vent en louvoyant. D’autre par la machine, trop faible, ne donnait au navire qu’une vitesse de 10 nœuds par vent calme, qui se réduisait  rapidement à zéro avec la moindre mer ou vent debout. »

 

Le 27 juin 1903, le Français est prêt à être lancer à la pleine mer au Société des chantiers et constructions navales de Saint-Malo, l’activité du chantier Gautier est à son apogée, 4 navires sont en membrures
Le 27 juin 1903, le Français est prêt à être lancer à la pleine mer au Société des chantiers et constructions navales de Saint-Malo, l’activité du chantier Gautier est à son apogée, 4 navires sont en membrures

 

Pour découvrir le Français pendant sa construction, et l’ambiance du chantier Gautier de Saint-Malo nous allons faire appel à un document peu connu  

 

Le célèbre écrivain et grand reporter pour le Journal le Matin, Gaston Leroux visite le chantier quelques semaines avant le lancement et interview le père Gautier :

Gaston Leroux
Gaston Leroux

 

 

« Sur les chantiers de Saint-Malo, j’ai vu se dresser la silhouette à la fois forte et élégante du Français, qui sera prête prochainement à prendre la mer.

 

Ce navire semble une jolie et solide petite bête, belle à voir avec son col élancé, ses épaules puissantes, la cambrure de son arrière qui lui donne déjà la grâce de l’élan, et son beau ventre de cuivre.

 

Autour d’elle ; M. Gautier me guidait ; je l’admirais sous ses différents aspects, cependant qu’autour de nous il se faisait un grand bruit. cinq navires, en effet, s’édifiaient auprès de celui qui nous occupe. les marteaux et les masses se levaient et s’appesantissaient sur les carènes, non sans harmonie. des forgerons, le torse à l’air, faisaient jaillir mille étincelles, avec des gestes démesurés, sur de petites enclumes portatives. L’odeur matinale de la mer et le parfum des copeaux frais rendaient le papa Gautier tout allègre. il respirait le chantier avec une joie toujours jeune. Il criait des ordres, en passant, aux ouvriers que l’on apercevait dans l’interstice des membrures des carènes. ceux-ci étaient occupés à lier solidement par des coins de fer la carlingue, la membrure et la quille. la carlingue est comme qui dirait l’épine dorsale du navire.

 

Comme j’avouais l’impression de force et de beauté, d’unité qui se dégageait de ses bateaux, mon interlocuteur me fit entendre qu’il n’était arrivé à ce type qu’après des études attentives du modèle américain et du modèle anglais, et qu’ainsi il avait créé un type mixte français qui avait les qualités des deux.

 

Je l’écoutais parler et je regardais le Français. Songeant aux destinées glorieuse, mais difficiles, qui l’attendent, j’étais frappé de sa petitesse. Songez donc, le bateau a trente-six mètres de l’étrave à l’étambot. je me le représentais dans les mers déchainées du Cap Horn, petite coquille sans force contre l’immense tourbillon des vents et des flots qui ne s’apaise jamais, là-bas, au sud du monde.

 

M. Gautier me rassura,

 

Sa petitesse le sauvera, me dit-il. J’ai navigué dans ces mers et nul navire mieux qu’un trois-mâts barque de cette taille ne saurait s’y comporter avec avantage. La manœuvre en est facile et sûre, et là où beaucoup d’autres plus vastes ne s’en tireraient point il passera. Il aura moins à craindre les bas-fonds et les rocs qui déchirent le sein des eaux aux alentours de la Terre-de-Feu. Pour naviguer dans les glaces, pour côtoyer la banquise pour éviter l’iceberg, il est nécessaire que ce navire ne soit pas un grand navire.

 

Quand on vous a donné à construire un bâtiment destiné à l’aventure des mers polaires, dis-je, - vous avez dû  songer à un illustre exemple. Le Fram, qui portait la fortune de Nansen et de ses compagnons, s’est merveilleusement conduit pendant l’hivernage et il est revenu en Norvège sans blessure.

 

- Je ne me suis occupé en aucune façon du Fram, me répondit l’ architecte des mers : cela m’était défendu.

 

- Par qui ? Par quoi ?

- Par le bon sens.

 

Et il m’explique en quelques mots que le problème ne se posait point tel pour le Fram que pour le Français. Pour le Français, en effet, il est beaucoup plus compliqué. Le Fram n’était, à vrai dire, qu’une maison solide et aménagée avec intelligence pour passer l’hiver dans les glace. Le Fram était tout de suite rendu à domicile. Il n’avait pas à naviguer. il trouvait la banquise à son premier horizon. S’il lui avait fallu soutenir l’assaut de la mer, il aurait beaucoup souffert. Nansen lui-même ne manque point de signaler son roulis et son tangage qui étaient insupportables.

 

-Le Français, lui, a des océans à traverser et des tempêtes certaines à vaincre. En même temps qu’il fallait lui donner la solidité du Fram, puisqu’il aura  les mêmes pressions de glaces à supporter, il était nécessaire de lui donner aussi ce que le Fram n’avait pas : la navigabilité.

 

C’est donc un modèle tout nouveau et dû entièrement au génie du père Gautier qui a été exécuté dans la personne du Français.

 

Nous avons dit qu’il avait trente-six mètres de tête en queue. Il peut porter trois cents tonnes. Il doit emporter du charbon et des vivres pour deux ans.

 

M. Charcot avait donné à M. Gautier toute latitude. mais il lui avait expliqué le dessein qu’il formait de courir sus à l’Antarctide. pour le remplir, et comprenant admirablement ce qu’on attendait de lui, le constructeur donna aux formes du navire l’avancement progressif dans le coupes, de façon à pouvoir ouvrir la glace par des moyens circulaires et à chasser les glaçons sous la carène, avec le moins de frottement possible.

 

Pur augmenter la résistance de la coque, on l’a faite double. il y a donc double doublage, le tout renforcé de fortes « courbes » en fer et de barreaux à l’intérieur. Dans ses armatures, les liaisons et chevillages sont multiples. Enfin, de la quille à la ligne de flottaison, il y a ce revêtement de plaques de cuivre qui fait ressembler le Français, quand à son centre , à un scarabée d’or.

 

-Oh ! dit le père Gautier, oh ! il est râblé ! Je veux dire qu’il est fort de épaules.

 

 Et comme nous sommes montés sur le pont, par l’escalade d’une échelle, et que nous grimpons sur la dunette d’avant, le père Gautier passe doucement avec satisfaction la caresse de sa main rude sur la poutre courbe qui va joindre l’étrave, et il répète dans un grognement heureux :

 

-oh ! il est fort des épaules ! il est fort des épaules !

 

Mais si fort des épaules soit-il, cela ne l’empêche point de montrer dans sa structure tout l’élan des navires de race, taillés pour de longue courses. Et M. Gautier est fier de cela  aussi, de le voir si joliment allonger au-dessus de l’étrave, au-dessus de son nez fin, la poulaine. M. Gautier a dessiner lui-même la poulaine. Sous elle autrefois, la main pieuse des constructeurs de navires, la main pieuse des constructeurs de navires sculptait la figure de bois de quelque Notre-Dame  de la Mer. Mais M. Gautier s’est contenté avec coquetterie de l’orner de feuillages disposés en ellipse aussi précieusement fouillés qu’un chapiteau roman.

 

Le Français sera gréé en trois-mâts goélette, ce qui le fera plus léger qu’un trois-mâts barque, et le chargera de moins de voilure. les gelées portent à la longue, le désastre dans la mâture.

 

Là surtout, en ce qui concerne le gréement, le Français aura à bénéficier de la science inventive du père Gautier. Le principal titre de gloire de ce dernier, en effet, est d’avoir su diminuer la surface de voilure, tout en maintenant la vitesse ; et cela dans des proportions inouïes. cette proportion est d’un tiers environ, ce qui est colossal. Il y a là une  prodigieuse économie apportée dans l’armement et de tels avantages sont inappréciables, puisqu’ils ont toute la durée d’un bâtiment.

 

Au-dessus du pont, des « bigues », énormes poutres entrecroisées, soulèvent le poids colossal d’une des deux chaudières, car on n’a pas oublié que le Français est mixte, à voile et à vapeur, et qu’il emporte l’hélice nécessaire à sa manœuvre dans les glaces. M. Turgan,   qui surveille la pose de toute la machinerie, accompagnera les explorateurs jusqu’à Madère pour se rendre compte du fonctionnement parfait de la machine.

 

Au fond de la cale, dans les carrés, dans les cabines, dans ce laboratoire, les ouvriers travaillent avec ardeurs, font les derniers raccords clouent les dernières planches. On veut être prêt pour le 27 de ce mois, qui est la date fixée du lancement ; on le sera. Avec M. Gautier, M Boursier, qui représente la Compagnie des nouveaux chantier s’y emploie le mieux du monde.

 

Mais voici que, par-dessus le bastingage, sautent et apparaissent les héros de l’expédition. MM Jean Charcot et de Gerlache, que nous avons déjà présentés à nos lecteurs. Je vais à eux, quand à ce moment un ouvrier les rejoint et s’excuse avec humilité de vouloir, lui aussi, dans la mesure de ses forces, coopérer à cette œuvre de science et de patriotisme. cet homme s’appelle Puguet et il est tonnelier. On lui avait commandé le « nid de corbeau ». On appelle ainsi le tonneau spécialement aménagé que l’on dispose au sommet du grand mât pour servir de logement à la vigie. Il l’apporte, son « nid de corbeau », mais il l’offre. et cela lui coûte, au bas mot, quatre cents francs. La chose est faite de si grand cœur et avec une si sincère émotion que M. Charcot ne trouve pas de mots pour le remercier et il lui serre les mains encore, encore…

 

Gaston Leroux

 

article du Journal le Matin du 14 juin 1903

 

Comparaison de la structure d’un navire polaire et d’un navire terre-neuvier tout deux du constructeur Gautier
Comparaison de la structure d’un navire polaire et d’un navire terre-neuvier tout deux du constructeur Gautier

 

La vie maritime du Français est courte,  le  fin aout 1903 c’est le départ de la croisière vers l’antarctique.  Cette croisière remarquable fera la réputation de Jean Charcot, chef de l’expédition commandant du navire, armé en plaisance.

 

Un hivernage dans les glaces de la mer de wedel,  au début de l’été austral de 1905 le Français s’échoue violement sur une tête de roche, les avaries sur l’étrave sont importante mais le navire fait de l’eau mais heureusement que la construction du chantier Gautier est exceptionnelle, il réussit grâce à son équipage à rejoindre l’Amérique du sud  .  Son passage en cale en cale sèche à son retour en Argentine, montre que les travaux de réparations  à faire sont importants.  Charcot n’a pas le budget pour ces réparation et l’état Argentin , qui avait si bien accueilli cette expédition se propose d’acheter le Français de faire les réparations pour utiliser le navire  en exploration polaire. Le Français est alors rebaptisé l’Austral mais manque de chance en décembre 1907 lors de son départ de Buenos Aires pour  l’océan austral il s’échoue par temps de brume et forte houle sur les bancs de Ortiz, l’équipage de la marine argentine est sauvé mais le navire est perdu.

 

Cette nouvelle, transmise par télégraphe vers la France affectera le Dr. Charcot et le constructeur le père Gautier tout deux attaché à ce navire exceptionnel. Mais un autre navire d’exploration polaire est déjà sur cales à Saint-Malo      

 

Les avaries du Français photographiées en cale sèche en Buenos Aires à son retour du pole en 1905
Les avaries du Français photographiées en cale sèche en Buenos Aires à son retour du pole en 1905

 

Le Pourquoi-Pas? 1908-1936

 

Dès son retour de l’expédition  en Antarctique de 1903-1905 avec le Français, , la célébrité de Charcot est faite, il a rapidement l’idée d’une nouvelle expédition avec un navire plus conséquent.  Début 1907, Charcot se rend en Norvège pour visiter les chantiers de construction des baleiniers en bois . L’architecte naval anglais A.H. Brown accompagné de Boyne directeur du journal Le Yacht se rendent en Ecosse pour étudier le Scotia  « le plus parfaitement compris de tous les navires utilisés pour des explorations Antarctiques » A.H. Brown ne trace pas des plans mais établi un cahier des charges pour un navire d’exploration polaire.  

 

Riche de son expérience de navigation et d’hivernage dans les glaces de l’Antarctique à bord du Français , Jean Charcot revient voir le père Gautier pour concevoir un navire plus conséquent. Les échanges entre les deux hommes sont fructueux.  Le Pourquoi Pas d’un déplacement de 825 tonnes, gréé en trois-mâts barque, mesure 40m de long, 9,20m de large et 4m de tirant d’eau moyen. La construction en ai particulièrement solide, la maille est réduite,  à l’avant la maille est comblée par des massifs, le vaigrage est calfaté formant ainsi pratiquement une double coque.

 

Mai 1908, le Pourquoi-Pas est prêt à etre lancer, le grand-pavois est à poste
Mai 1908, le Pourquoi-Pas est prêt à etre lancer, le grand-pavois est à poste

 

Les défauts de manque d’équilibre et de puissance à la voilure du Français sont corrigés par l’adoption du gréement de trois-mâts carré, le gréement carré permet aussi une  plus grande capacité de manœuvre,  tel la prise de panne ou la marche arrière à la voile en brassant à contre. La puissance de la machine est considérablement augmentée également. Le Pourquoi-Pas est équipé d’une machine neuve d’une puissance de 550cv construite aux établissement Brosse et Fouché de Nantes ou la surveillance attentive de l’ingénieur de la Marine Laubeuf.

 

le Chantier Gautier fourni dans le matériel d’armement  4 doris, un canot, un youyou, deux norvégiennes et deux canots Berthon   et une vedette à moteur de sa conception : 6,50m de longueur pour 1,6à m de large renforcé à l’avant avec des tôles d’acier équipé d’un moteur à essence de 8ch qui lui assure une vitesse de 7 nœuds. 

 

Les aménagements du Pourquoi-Pas, sont particulièrement bien conçus : à l’avant le poste d’équipage avec 18 couchettes et une hauteur sous barreau de 2m, derrière le carré des sous-officiers. Le pont de la partie centrale forme dunette et permet d’abriter 6 cabines destinés au logements de l’état-major et des scientifiques, les laboratoires et les sanitaires se trouvant sur tribord. La cuisine et l’office sont sous un rouf sur le pont avant.

 

Le lancement du Pourquoi a lieu le 18 mai 1908 devant une foule nombreuse sous le patronage de Paul Doumer et de Mme Charcot. François Gautier peut être fier de cette magnifique construction , le voyant flotté au milieu du bassin il aurait dit «  C’est un mâle ».

 

Les navigations du Pourquoi-Pas ont été décrite dans de nombreux livres,  il eut une belle carrière d’exploration polaire , toujours est-il qu’il résistera aux glace polaires, aux tempêtes de l’atlantique nord  jusqu’en 1936 année de son naufrage, sur les côtes de l’Islande, qui verra la perte totale du navire  et de son équipage à l’exclusion d’un seul survivant.

 

Plans des formes du Pourquoi Pas ?, retracés par Alain Marie Gautier arrière-petit-fils du constructeur François Gautier d’après les plans d’origine, les formes sont particulièrement élégantes (publiés dans le Chasse-Marée n°24)
Plans des formes du Pourquoi Pas ?, retracés par Alain Marie Gautier arrière-petit-fils du constructeur François Gautier d’après les plans d’origine, les formes sont particulièrement élégantes (publiés dans le Chasse-Marée n°24)
Plans des aménagements et plan de voilure du Pourquoi Pas ?, retracés par Alain Marie  Gautier arrière-petit-fils du constructeur François Gautier d’après les plans d’origine (publiés dans le Chasse-Marée n°24)
Plans des aménagements et plan de voilure du Pourquoi Pas ?, retracés par Alain Marie Gautier arrière-petit-fils du constructeur François Gautier d’après les plans d’origine (publiés dans le Chasse-Marée n°24)

 

Sources et liens

 

Cet article doit beaucoup à l’excellent article  de Gilles Millot  de 21 pages dans le chasse-marée N°24  1986  « J.B. Charcot et ses navires »

 

Deux articles du journal le  Matin

14 juin 1903 La visite de Gaston Lerou

28 juin 1903 Le lancement du Français

 

site de Alain Marie Gautier

 

« Sur les traces du commandant Charcot » une émission de France 3 Littoral 2015

 

 

Le Pourquoi-Pas de retour à Saint-Malo, ce navire mixte associe puissance et grâce
Le Pourquoi-Pas de retour à Saint-Malo, ce navire mixte associe puissance et grâce
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Le Français et le Pourquoi-Pas deux navi
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