Le suicide de marin à bord d’un bateau est toujours un sujet délicat à traiter, dans les sources anciennes comme les articles de journaux il est souvent associé à « un accès de folie » Les raisons du suicide ne peuvent généralement pas être expliqué, l’état de dépression du marin n’étant pas mis en avant. Le suicide se rencontre aussi pour de jeunes capitaines, est-il consécutif à des problèmes personnels ou professionnels. Sur leurs épaules repose toute la responsabilité du navire, et aussi le fonctionnement économique de l’armement du navire.
Nous allons voir, dans des documents d’époque, le cas du suicide du capitaine Le Foricher. En 1908 le capitaine Le Foricher a 35 ans de Pleubian, il s’agit certainement de Yves Le Foricher né à Pleubian en 1873. Le capitaine Le Foricher est copropriétaire avec Libouban d’un dundée neuf construit au chantier d’Emile Bonne Le Rémora. Le Rémora est un dundée classique de cabotage sa jauge brute est de 92 tonneaux, sa jauge nette de 71 tonneaux, il mesure 23,08 m de longueur au pont, 6,00 m de bau et 2,89 m de creux.
Le mois de décembre 1908 a été particulièrement tempétueux et plusieurs voiliers de cabotage ont eu de sérieuses avaries en Manche et dans le Golfe de Gasconne. Le rémora venant de Newport, port charbonnier du Pays de Galles a certainement été sévèrement malmené.
Voici l’article de la Dépêche de Brest du 5 janvier 1909 :
Mort Tragique du capitaine du Rémora
Le dundée Rémora partit, il y a quelques jours, de Newport, avec un chargement de houille pour un négociant de Morlaix. Vers dix heures du matin, le capitaine, M. Le Foricher, de Pleubian (Côtes du Nord), donna des inquiétudes à l’équipage. Ses paroles incohérentes témoignèrent d’un dérangement cérébral manifeste. Les marins crurent devoir prendre certaines précautions contre leur capitaine. Ils l’attachèrent sur le pont et décidèrent ensuite de gagner, au plus vite, le port le plus proche Roscoff. En face de la roche, connue Ty Saozon, vers quatre heure, M. Le Foricher, que l’on avait négligé de fouiller, prit son couteau, coupa ses liens et se jeta précipitamment à la mer pendant que l’équipage était occupé à une manœuvre. Une bouée fut aussitôt jetée à la mer. Mais Le Foricher l’évita en nageant dans le sens opposé. Le canot du bord fut également mis à la mer. On croyait d’autant plus facilement sauver le désespéré, en cet instant, qu’il flottait sur l’eau, sur le dos, le visage tourné vers le navire, donna encore quelques signes de vie. Hélas ! À peine l’eût-on embarqué qu’il mourut de congestion, sans doute. Le bateau de sauvetage, rapidement mis à l’eau se présenta et transporta le corps à terre. M ; le docteur Stéphan, appelé, ne put que constater le décès. le capitaine avait 35 ans seulement.
Mme Le Foricher et ses parents, avertis par les soins des autorités compétentes, arrivèrent dès le lendemain matin.
Le corps du malheureux capitaine a été dirigé sur Pleubian aux fins d’inhumations. Quant au bateau Rémora, il a été conduit à Morlaix par le capitaine Boulch, de Roscoff.
Ce récit du drame est confirmé par le rapport de sortie du canot de sauvetage de Roscoff :
Roscoff, le 28 décembre 1908
Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de vous informer qu’hier, à 4 heures du soir, par coup de vent de N.O., grenasses de grêle, le dundée « Rémora » de Tréguier, entrait dans le chenal de Roscoff, ayant deux ris à ses voiles. Il n’avait pas encore jeté l’ancre qu’on le vit lancer son canot à la mer. Celui-ci s’éloigna à toute vitesse et revint presque aussitôt accoster le navire.
A ce moment, on mettait le pavillon en berne pour demander du secours tandis qu’un autre pavillon était hissé au grand mât pour appeler un pilote.
Surpris par cette manœuvre, j’ai fait lancer le canot de sauvetage, et 30 minutes après, nos canotiers étaient le long du navire où ils apprirent que le capitaine s’était jeté à la mer au moment de mouiller, et c’est dans le but de le sauver que le canot avait été lancé brutalement à l’eau. Le capitaine avait du reste été sauvé.
Priés de monter à bord, nos hommes aidèrent à rappeler le capitaine à la vie.
Mais voyant que leurs efforts restaient inutiles, ils vinrent à terre chercher un médecin qui n’eut qu’à constater le décès.
Le canot étant rentré à 6 heures, la nuit étant noire, les canotiers mouillés jusqu’aux os, j’ai décidé de faire affourcher le canot de sauvetage dans le port pour la nuit, et aujourd’hui, à 8 heures, il a été rentré sans accident dans son abri.
Le président du comité local,
Salaün
Capitaine au Long Cours
Armement du canot de sauvetage « Commandant Philippes de Kerhallet » : Corre Joseph, patron ; Le Saout Louis, Le Saout François, Quéré Auguste, Masson Joseph, Cocaign Henri, Roignant Hyacinthe, Le Duc Louis, Kerenfort Jérôme, Corre Baptiste, Dirou Alphonse et Ropars Alain canotiers.
Dans "les Annales du sauvetage maritime 1909/01" (A44,T44,FASC1)
Le dundée Rémora a été vendu le 01 février 1909 à Riou et Geffroy de Pleubian et fini coulé par un sous-marin allemand pendant la grande guerre le 1er septembre 1916 dans les parages d’Ouessant.
Quel curieux destin que celui du trois-mâts goélette à hunier Alcyon !
Construit en 1908 au chantier Bonne-Lesueur de Kérity pour le compte de Geoffroy et Libouban de Pleubian. Il est lancé avec succès le 25 novembre cette année. Le capitaine au long-cours Jean Libouban à 29 ans et a un avenir prometteur, il est reconnu pour ces compétences et a exercé comme lieutenant à bord des grand voiliers nantais.
L’Alcyon avec son gréement à trois mât ses 134 tonneaux de jauge net et ses 260 tonnes de port en lourd fait partie des plus grand navires construits à Paimpol, il est armé au cabotage international, et au long-cours, à Tréguier sous le numéro 495, comme chasseur pour les bancs de Terre-Neuve. Les chasseurs, navires rapides, chargent au printemps du sel en Espagne le transport jusqu’à St Pierre et Miquelon. Au mois de juin ou juillet, au Port de St Pierre il échange son chargement de sel contre la première pêche de deux ou trois navires terre-neuviers ayant péché sur les bancs depuis 2 ou 3 mois. Les chasseurs ramènent le plus rapidement possible cette première pêche vers les ports de Bordeaux, La Rochelle ou bien encore des ports de Méditerranée.
Souvent les navires chasseurs effectuent en hivers des voyages depuis l’Espagne ou le Portugal vers les ports français d’armement morutier pour approvisionner les navires de pêche en sel avant leur départ
En décembre 1912 l’Alcyon essuie une terrible tempête il se produit à bord un drame peu courant dont la presse se fait écho :
Un capitaine rendu fou par la tempête meurt subitement
Hier, est entré dans le port de Fécamp, le trois-mâts Alcyon venant d’Ivice (îles Baléares), avec un chargement de sel.
L’équipage raconte que dans la dernière tempête sur l’Atlantique, le capitaine du bord Jean Libouban, âgé de trente-trois ans, inscrit à Tréguier, pris d’une crise de folie furieuse est mort subitement. Le cadavre a été immergé trois jours après au large des Casquets, en Manche
La république Française le 29 novembre 1912
La Dépêche de Brest est plus discrète sur les circonstances de la mort mais nous apporte quelques précisions sur les avaries du navire et son retour à Fécamp :
« La mort du capitaine Libouban
A l’arrivée à Fécamp, le 28 décembre, du trois-mâts Alcyon, on a appris le décès du capitaine de ce navire, M. Jean Libouban, 33 ans, survenu en mer le 24 décembre, à la suite d’une congestion. Le corps fut immergé le 27, alors que l’Alcyon, assailli par une furieuse tempête, se trouvait à 180 milles au large de l’île d’Ouessant. Avarié par la tourmente, le trois-mâts Alcyon réclama du secours au vapeur Caravellas. Le deuxième lieutenant de ce vapeur, M ; Bouteu, monta à bord de l’Alcyon et le conduisit sans autres incidents à Fécamp. Le capitaine Libouban était un navigateur endurci, de beaucoup de sang-froid. Il a servi longtemps à bord des voiliers nantais. »
La Dépêche de Brest du 31 décembre 1912
L’Alcyon chasseur
Le trois-mâts goélette sera revendu à différent propriétaires et continuera ses navigations comme chasseur pour Terre-Neuve et d’Islande. Initialement armé au quartier de Tréguier, il est, en premier lieu, la propriété de Jean Libouban et de M. Geffroy maire de Pleubian, au décès de son capitaine armateur il devient alors la propriété de de Morvan et Geffroy. Suite certainement à un talonnage avec un chargement de sel pour Fécamp on appren
« Fécamp le 30 mars 1914
Dans la matinée, le chasseur trois-mâts Alcyon de Tréguier, capitaine Morvan, est monté sur le slip pour un examen de la coque : la quille est légèrement avariée et une petite partie sera remplacée. Avant la montée au slip une partie du chargement avait été mis à terre »
Puis il passe au quartier de Paimpol, propriété d’Yves-Marie Ethes capitaine au cabotage et de Julien Le Gall de Lambale. Il est vendu le 10 novembre 1924 à Mrs François Dauphin-Bonne et Pottier-Grandmaison, il semble que le capitaine Yves-Marie Padel de Pleubian ai eu des part sur ce navire également.
En février 1929, le navire est vendu au commandant Georges Hébert et à la Société des grands hôtels et casino s de Deauville. l’Alcyon va être aménagé à St Malo et armé pour de nouvelles fonctions originales. Son arrivée à Deauville et sa nouvelle fonction est largement annoncé avec enthousiasme dans la presse :
L’Alcyon ou le bateau-école féminin
« Le lieutenant de vaisseau Hébert est, personne ne l’ignore plus en France ni même à l’étranger, l’auteur et le protagoniste de la méthode de Gymnastique naturelle. Après l’avoir enseignée à Lorient aux fusiliers marins dont il avait le commandement, Hébert la révéla au « collège d’Athlètes » de Reims, grâce au mécénat du marquis de Polignac. La guerre survint et s’est à un autre genre d’exercices que se livrèrent sur l’Yser le commandant et ses marins.
Rescapé du meurtrier conflit, Hébert rentre dans la vie civile et s’emploie à divulguer sa gymnastique. Personnellement, il se met à la tête d’un bataillon …. féminin et dans sa Palestra de Deauville il réunit, chaque été, de nombreuses jeunes femmes et jeunes filles.
Or, cet été, l’infatigable physiologue présente une innovation d’une originalité incontestable et, ces jours derniers, il me fit visiter son « dernier bateau ». Il s’agit d’un vrai navire : L’Alcyon, un beau trois-mâts, qui, tout dernièrement encore, « cargotait » sur les mers. Aujourd’hui, ce grand voilier est converti en école pour jeune filles du monde.
Avec l’aide de Mme Hébert, le commandant entreprend une tâche difficile, mais le but est des plus intéressants : L’installation est telle qu’une vingtaine d’élèves pourront passer chaque année leurs vacances à bord de l’Alcyon ; elles y recevront une sommaire instruction maritime. On les initiera à l’art de la navigation. Inutile d’ajouter que la manœuvre du bateau est assurée par un équipage professionnel. Au programme figurent des leçons de gymnastique vraiment naturelle : traction sur câbles etc... Elles seront aussi à l’école de la débrouillardise. L’Alcyon n’est pas en effet, un yacht de luxe et ces jeunes filles devront le soigner comme une femme sérieuse doit soigner son ménage ! Voire même faire la « popote ». Néanmoins le confort, sans égaler celui de « l’île de France », est suffisant : Alain Gerbault le trouverait exagéré ! Certaines occuperont des cabines, d’autres coucheront dans des hamacs ; l’hydrothérapie existe sous la forme d’une cabine de douches. Et, pour les intellectuelles, il y a une bibliothèque à bord ! Il y a séparation absolue entre l’habitat des élèves, l’appartement que se sont réservés M. et Mme. Hébert et leurs enfants, et le poste d’équipage, isolé à l’avant.
Le large pont de l’Alcyon autorise la promenade voire même la course pédestre, les jeux, la farniente.
D’ailleurs, ce n’est pas un simple projet ; il y a dès à présent, commencement d’exécution. J’ai trouvé à bord de l’Alcyon une demi-douzaine de jeunes filles dont la qualité d’élève se manifeste par un uniforme très marin. Et bientôt, d’autres élèves vont arriver.
Lors de ma visite, l’Alcyon, qui venait de Saint-Malo son ancien port d’attache [Paimpol], Se trouvait mouillé au milieu des magnifiques et nombreux voiliers de course participant à la semaine de yachting.
Il importe que la française prenne le goût de la navigation. Le jour où elle aura vaincu sa répulsion pour tout ce qui touche à la mer, elle n’hésitera pas à accompagner son mari aux colonies. […] .
Mon but n’est pas de naviguer tout le temps me déclare Hébert. L’Alcyon fera certes, de petites croisières, mais il sera souvent en rade de Deauville, car je dois partager mon temps entre la Palestra et le navire-école. A vrai dire, je vais être secondé par ma femme, très au courant de tout ce qui concerne l’éducation physique de la femme. Nous poursuivrons, en effet, un but éminemment hygiénique dans cette œuvre, qui a aussi un but moral ; nos élèves doivent y consolider leur santé et s’y aguerrir.
Il faut espérer que Hébert trouvera dans le succès la récompense de ses louables efforts.
G. De Lafrete
Journal « L'echos de Paris » du 16 juillet 1929
Embarquons-nous, en aout 1929 à bord de l’Alcyon
Au large, avec les « demoiselles de quart » et le commandant Hébert, maître de l’Alcyon.
On sait que M. Georges Hébert ancien lieutenant de vaisseau, a fondé une école nautique féminine. Notre collaboratrice, Me Suzanne Grinberg, nous envoie les premières notes qui aient été prises au cours du récent voyage de l’Alcyon
A bord du navire-école l’Alcyon, en vue de l’île de Wight.
13 aout.
Je connaissais depuis longtemps le projet de M. Georges Hébert de fonder une école d’entrainement physique à bord d’un bateau. Cet hiver, j’avais suivit les pourparlers qui amenèrent ce grand maitre de l’éducation physique à faire à Paimpol, l’acquisition d’un trois-mâts, goélette, ancien bateau de pêche des côtes d’Islande.
Dument réparé et confortablement aménagé, l’Alcyon peut donner maintenant à une vingtaine de jeunes filles la joie de croisières durant lesquelles elle mèneront la vie saine, active et rude des marins et non point celle de dolentes passagères étendues sur des chaises-longues capitonnées d’éclatantes cretonnes.
Comptant que le bateau quitterait le port le dimanche 11 aout, j’étais arrivé la veille à Deauville. A peine avais-je aperçu le commandant Hébert qu’il me cria « Vite, vite, vous avez cinq minutes pour descendre vos bagages à bord, garer votre voiture, embarquer et revêtir le costume réglementaire, sans quoi, je ne veux pas de vous sur le pont ! ».
J’obéis en toute hâte et pus ainsi assister aux opérations de départ, revêtue comme les jeunes élèves d’une vareuse de marin, grand col et cravate bleus, et d’un large pantalon de toile bise, les cheveux retenus par un de ces bonnets paysans normands comme en portaient autrefois les corsaires.
Une foule amusée regarde le départ de l’Alcyon qui a vraiment grand air au milieu des yachts de luxe qui encombre le petit port.
Les équipes de « bâbordaises » et de « tribordaises » sont à leur poste au coup de sifflet de la monitrice-chef, déjà parfaitement entrainée elle-même par les cinq marins expérimentés qui ont la charge de mener à bien la destinée du navire.
Une « bordée » d’élèves grimpe aux mâtures et du haut du mât de misaine répondent d’un large geste aux saluts des baigneurs massés sur l’estacade qui nous souhaitent bon voyage.
L’Alcyon sort du port par le secours de se deux moteurs. Un commandement : « Larguez les voiles ! » Tandis que les « bleues » inexpertes massée au centre regardent l’opération, les « anciennes » en gestes bien rythmés, de toute la force de leur jeunes bras tirent sur les cordages. Au Large les machines s’arrêtent. Ses grandes voiles ocre déployées, lentement le navire vogue vers l’Angleterre. Nous avançons à peine. Il y a peu de brise. Le commandant Hébert m’initie au vocabulaire des marins. J’apprends à connaitre le clinfoc, le grand foc, le petit foc, la trinquette, le hunier la fortune, la misaine, la grand’ voile, l’artimon et aussi les haubans, galhaubans, caps de mouton, râtelier, cabillots, taquets, amures, écoutes.
A onze heures du soir, par le temps le plus doux du monde, nous voyons encore au loin les feux du Havre, de Deauville, de Cabourg et d’Ouistreham.
Les « Demoiselles de quart », comme disent les bons marins bretons qui sont à bord et se montrent avec tous si paternellement protecteurs et si doux, ont commencé leur vigie. Deux par deux, de deux heures en deux heures, elles se relayeront. Le sommeil ne vaincra pas leur attention. Mais quelle lutte !
A trois heures du matin, un fort vent ouest-sud-ouest nous pousse à bonne allure vers la haute mer. A l’heure du réveil –sept heures- au coup de sifflet, tout le monde est hors des couchettes. Mais le bateau tangue fortement et quelques jeunes visages sont bien pâles. Malgré leurs visibles efforts pour « tenir », quelques-unes devront rester dans leurs cabines cependant que les autres, leur toilette faite, iront, pieds nus, laver le pont à grande eau. Leurs rires et leurs cris joyeux vont douloureusement au cœur des malades.
Plus tard, l’équipe de cuisine descend et épluche les légumes, au son des plus récents disques américains, tandis que l’équipe de fourbissage dépense la plus belle des ardeurs à frotter les garnitures de cuivre de la barre et du compas.
Au soir, une bonne nouvelle. On voit les feux de la côte anglaise. Durant la nuit, nous allons louvoyer, mais à l’aube, nous sommes en vue de l’île de Wight. Un temps merveilleux et une mer clémente donnent au jeune équipage une joie sans bornes.
les travaux de nettoyage commencent, puis ensuite l’entrainement rationnel suivant la méthode Hébert : saut, course, grimper aux mâtures, équilibre…
Un bateau pilote est à l’horizon. Les élèves, au commandement, hissent le pavillon bleu encadré de blanc qui signale la demande pilotage. Le pilote anglais, peu après, monte à bord ; Je sers d’interprète et explique à l’homme, ahuri de voir cette chose inaccoutumée qu’est cette jeunesse féminine sur un bateau de cette nature, le mécanisme de l’école.
Toute une vie maritime retient notre attention. des centaines de yachts voguent tout alentour. Nous allons mouiller au large de Cowes.
Suzanne Grinberg
Journal l’Intransigeant du 17 aout 1929 (Retronews BNF)
L’hiver suivant il désarme à Saint-Malo, un programme chargé est prévu pour la saison 1930. Une croisière sur les côtes de Bretagne et une autre sur les côtes anglaise, les stagiaire ont la chance de visiter le Victory et Portsmouth et sont applaudies pour la manœuvre lors de leur passage à Cherbourg. Toujours est-il qu’avec la crise financière de 1929 le riche mécène, la Société des grands hôtels et Casinos de Deauville qui l’avait acheté et mis à la disposition du commandant Hébert souhaite vendre ce navire Que devient alors l’Alcyon ? A-t-il été vendu à l’étranger ? C’est probable mais nous l’ignorons dans l’état de nos recherches
Ces photos de Georges Hébert et de l’une de ses élèves montrent les idéaux masculins et
féminins forgés par la méthode Hébertistede la gymnastique naturelle
Georges Hébert a été le créateur du mouvement portant son nom : l’Hébertisme basé sur sa méthode gymnastique naturelle, Ces méthodes de développement du corps ont fait l’objet de nombreuses publications. Ce culte du corps était aussi en vogue à cette époque dans l’Allemagne nazie. Le gouvernement de Vichy adopta les méthodes hébertistes pour l’enseignement de la culture physique. Georges Hébert ne pris pas de position politique et restât prudemment à l’écart de ce tumulte.
Le mât de misaine de l’Alcyon on distingue sur cette photo très nette une multitude de détails de gréement, le principe et les ferrures du hunier à rouleau les écoutes en chaine, la misaine carguée en girafe, la fortune carrée est serrée sur la vergue sèche contraire à l’habitude de l’envoyer grâce à trois cartahus
« Le capitaine Joseph Aufray, de la goélette Elisa-Marie, du port de Paimpol, appartenant à MM. Y Le Goaster et fils, a mouillé sur la rade le 6 courant (6 décembre 1879), venant de Cadix avec du sel.
Les terribles coups de vent qui se sont succédé presque sans interruption depuis un mois, ont causé à ce navire quelques avaries de gréement et de voilure.
Le 27 novembre par 46° Nord et 10° Ouest, le capitaine Aufray a eu le bonheur de pouvoir sauveter le capitaine Noël Allain et le novice Jacques Saliou, du sloop Janua Coeli, de Nantes, au moment où ce navire était sur le point de sombrer. Ce petit navire venait de Villanova (Espagne) avec un chargement de fruits secs, et depuis plusieurs jours, était désemparé et disloqué et faisait eau par suite des grands mauvais temps qui l’avaient assailli depuis son départ d’Espagne. Le temps était très mauvais, et il y eut imprudence à essayer de faire monter l’embarcation par des hommes qui eurent presque infailliblement péri.
Le capitaine Aufray fit donc filer son canot avec une aussière et manœuvra de manière à la faire arriver à portée du Janua Coeli, ce qui réussit aussitôt. Le novice Saliou embarqua seul d’abord et fut halé à bord de l’Elisa-Marie L’embarcation, filée de nouveau, fut saisie une seconde fois par les malheureux restant sur le Janua Coeli ; ils s’y embarquèrent tous trois, mais une lame monstrueuse fit chavirer l’embarcation en la brisant en deux. Le capitaine put seul se cramponner aux débris qui étaient retenu par l’aussière, le mousse et le novice disparurent aussitôt. le capitaine Aufray, après s’être assuré que ces pauvres enfants avaient disparu et que toutes recherches seraient infructueuses, reprit sa route. »
Journal le « Propagateur des côtes du nord » du 17 décembre 1879
Voici un extrait du rapport du capitaine Allain publié dans le même journal :
« Le navire qui me sauva, ainsi que le marin Jacques Saliou, est la Marie-Elisa de Paimpol, cap. Joseph Auffray, venant de Cadix chargée de sel. Je lui dois ma plus grande reconnaissance car sans son courage et sa grande habileté, nous étions tous certainement perdus. Il lui a fallu le plus grand dévouement, ainsi que son équipage pour faire ce qui a été fait. Je le remercie en outre des bons soins qu’il m’a donnés, ainsi qu’à mon matelot, dès notre arrivée à bord du navire Marie-Elisa. Nous avons été rapatriés à Paimpol. »
Commentaires :
Ce mois de décembre 1879 était particulièrement froid et tempétueux, on lit dans le même journal qu’à Tréguier le Guindy était gelé et que la Rance était complétement gelé jusqu’à l’écluse du Châtelier du jamais vu depuis le terrible hiver 1829. La goélette Elisa Marie de Paimpol est armée pour la pêche à Islande elle effectue en hiver un voyage au cabotage vers Cadix pour ramener du sel à Paimpol.
Sources :
Presse ancienne des côtes d’Armor aux archives départementale 22
Site « ex voto marins »
Carte marine du Golfe de Gasconne sur Gallica
Des photos d’un navire à voile en train de couler sont rares. Les plus courantes sont celles de torpillage ou de destruction par bombe par un sous-marin allemand pendant la guerre de 14. Ce n’est pas les circonstances de celles que je présente dans cet article, Ces photos ont été prises par le capitaine anglais du navire sauveteur. Elles ont été publié dans le catalogue de l’exposition « ex-voto marins du Ponant » du musée de marine en 1975 Voici les circonstances de ce naufrage.
Article du Ouest Eclair du 15 avril 1900
Le havre, 14 avril- Le steamer Luciline, allant de Batoum à Rouen, arrivé sur rade hier, vers deux heures, a amené au Havre l’équipage du navire terre-neuvier Bois-Rosé, parti de St Malo le 5 avril dernier, qui a fait naufrage dans les circonstances suivantes :
Dans la nuit du 9 au 10 avril, la mer étant grosse et le navire fatiguant beaucoup, une voie d’eau se déclara dans la parie avant.Les hommes d’équipage se relayèrent aux pompes et le capitaine Aristide Lehoërf prit les mesures nécessaires pour tâcher de rallier la côte.Après deux jours de travail, le 12 avril, la situation ne s’améliorant pas, les marins ayant aperçu un grand vapeur, lui firent des signaux de détresse ;Les signaux furent heureusement aperçus et, vers une heure et demie, le Luciline vint se ranger à portée du voilier Bois-Rosé.
Après s’être rendu compte de la situation, le commandant anglais offrit de prendre à son bord les marins français, ce qui fut accepté ; ceux-ci furent transbordés au moyen des doris du voilier.
le Bois Rosé fut ensuite pris à la remorque par le vapeur, mais la voie d’eau n’étant pas combattue par le jeu des pompes, le navire français s’enfonça rapidement et vers quatre heures, il fallut abandonner la remorque.
Le bois Rosé coula à quatre heures dix du soir, par 48°54’ de latitude Nord et 4°10’ de longitude Ouest.
Ce navire, qui était un trois-mâts-goélette, appartenait à MM. Chevalier et Cie, de Cancale.
L’équipage, composé de 33 hommes, débarqué par le steamer Emile Duchemin du service de pilotage de la Seine, a été recueilli momentanément à la Maison des marins.
Le capitaine et ses hommes se sont ensuite rendus à l’arsenal de la Marine pour y être entendu par M. l’administrateur et les officiers désignés pour le service des enquêtes maritimes.
Ces trois magnifiques photos du naufrage du Bois-Rosé ont été prises par le commandant anglais Charles A.P. Helsham à quelques minutes d’intervalle le 12 avril 1904 à 16h10 elles ont été conservées dans les archives de l’armateur du Luciline M. Deutsch.
(Photos publiées dans le catalogue de l’exposition Ex voto du ponant)
Dans le Ouest Eclair du 17 avril 1904 Le journaliste donne les précisions suivantes recueillies auprès d’un marin de l’équipage naufragé :
« Nous étions partis, dit-il, les derniers de Saint-Malo, avec un grand nombre de goélettes et de trois-mâts allant au banc, mais, dès le lendemain, les vents étant contraires, nous primes chacun des bords différents et bientôt, toute la flottille fut dispersée.
La mer était assez grosse, avec vent fort, toujours debout, de sorte qu’on tenait toujours au plus prêt, avec la lame sur le nez.
Nous étions toutefois loin de nous attendre à ce qui allait arriver.
Lorsqu’on s’aperçut de la voie d’eau, tout le monde se mit aux pompes et on tâcha de découvrir l’orifice pour le boucher, mais le chargement de sel qui se trouvait en cale ne put, par suite du roulis et du tangage, être fouillé et il nous fallut renoncer à trouver l’endroit avarié. on continua ainsi à pomper en tâchant de rallier les côtes de Bretagne. Nous pensions d’ailleurs rencontrer des navires dans ses parages très fréquentés, peut-être même quelqu’un des navires partis en même temps que nous de Saint-Malo, mais ce n’est que mardi que nous fûmes aperçus par la Luciline.
Il était d’ailleurs grand temps. Nos pompes encombrées par le sel ne fonctionnaient plus et le navire s’enfonçait de plus en plus. Nous nous étions réfugiés dans nos doris avec une partie de nos effets, car le reste a été malheureusement perdu, lorsqu’un navire anglais est venu nous prêter assistance.
Le navire était resté sous voiles pour nous permettre de faire route plus aisément.
Le capitaine Charles A.P. Helsham, de la Luciline envoya à bord du voilier, son second, son charpentier, son maitre d’équipage, son chef mécanicien et plusieurs matelots, avec mission de se rendre compte s’il était possible de faire fonctionner les pompes et de sauver le navire.
Il prit le navire à la remorque et nous restâmes le long du bord jusqu’au dernier moment dans nos embarcations.
Heureusement la mer s’était sensiblement calmée.
Le bois-Rosé a apiqué très rapidement, si vite même que la remorque a cassé et que nous n’avons eu que le temps de nous mettre au large. C’est un spectacle que je n’oublierai jamais !
C’est alors que le capitaine anglais nous a pris à son bord, avec nos doris.
Nous avons, d’ailleurs, été fort bien traités par ce commandant et ses marins. Sans son intervention, nous serions peut-être encore, à l’heure actuelle, dans nos embarcations, cherchant à rallier quelque port voisin.
Nous avons perdu nos effets et notre campagne de pêche, mais enfin nous sommes tous sauvés, grâce à ce capitaine qui n’a pas hésité à rester près de nous pour nous aider et, finalement, nous recueillir. »
Ajoutons que le navire Bois-Rosé fit pendant plusieurs années, partie de la flottille fécampoise. ce navire avait été construit à Fécamp en 1884 et avait été visité au Havre en 1902. A cette date il était devenu la propriété de MM. E. Poirier et E. Lamuse, de Granville qui l’on revendu cette année à M. Chevallier de Cancale. Gréé en trois-mâts goélette, le Bois Rosé mesurait 35m90 de longueur, 9m02 de largeur et 3m80 de creux avec une jauge de 279 tonneaux. Il était construit en chêne, doublé en cuivre et chevillé en fer galvanisé.
Commentaires :
Un extrait du dossier du Bois-Rosé dans les archives des douanes aux archives départementales d’ile et Vilaine, publié dans les Cahiers de Cancale, nous renseigne : ce navire a été vendu le 1er décembre 1903 pour la somme de 49000 frs. à Chevalier Joseph armateur à Cancale pour les 2/3 et à Lehoerff Aristide capitaine au cabotage pour 1/3, il n’ont pas eu de chance avec leur nouveau bateau.
Une voix d’eau ou des voix d’eau multiple pour un navire terre-neuvier ou un navire chasseur transportant du sel étaient souvent très problématique car le sel en fondant formait une saumure épaisse dans les fonds qui empêchaient le fonctionnement normal des pompes. L’équipage a eu la chance que cette avarie ne se produise pas au milieu de l’atlantique ou le risque de disparaitre corps et bien eu été très important.
Ou a coulé le Bois-Rosé ?
Dans le catalogue de l’exposition « ex-voto marins du Ponant » du musée de marine en 1975 dans la légende de ces trois photos, il est indiqué que le Bois-Rosé a coulé dans les parages des Minquiers. Le reporter de l’Ouest Eclair indique dans son article du 15 avril 1904 la position du navire 48°54’ de latitude Nord et 4°10’ de longitude Ouest. Prenons une carte marine française en usage à époque et reportons-y ce point. Sur la carte 880 du SHOM édition de 1876 ce point ce situe entre les rochers de la partie nord des Chausey, c’est effectivement à proximité des Minquiers pas loin du passage de la Déroute. Chose étonnante, les articles d’époque ne signalent pas la proximité des dangers et s’il avait coulé à cette position exacte il se serait échoué sur les rochers des Chausey ! Autre interrogation : que faisait le Luciline grand navire pétrolier à vapeur allant de Batoum, port de Géorgie situé au fond de la mer Noire à Rouen, aussi loin en dedans des iles Anglo- Normande c’est bien loin de sa route directe et bien proche des dangers des différents plateaux de rochers. Un dernier point d’interrogation : le Bois Rosé a coulé 7 jours après son départ de Saint-Malo et serai si proche de son point de départ, c’est vraiment étonnant ! Cette position du naufrage parait vraiment douteuse !
La position 48°54’ de latitude Nord et 4°10’ de longitude Ouest a-t-elle été donnée par le commandant du steamer Luciline ? Si c’est le cas, elle a été prise sur la carte marine anglaise ayant comme référence le méridien de Greenwich, cela change par rapport aux cartes marines françaises du début du XXème siècle qui avaient encore comme référence le méridien de Paris. Pointons ce point sur une carte actuelle, ce point est au large à une quinzaine de mile dans le Nord-Ouest de l’île de Batz. Ce point est bien celui du naufrage et répond correctement à toutes les interrogations que nous avions sur celui pris par rapport au méridien de Paris. La Conférence internationale de 1884 retient le méridien de Greenwich comme référence horaire internationale. Mais la France va tarder pour l’adopter officiellement sur tous les documents nautiques et c’est seulement par une décision ministérielle du 19 aout 1913, applicable au 1er janvier 1914 que la référence unique des documents nautique est depuis le méridien de Greenwich.
Sources et Liens :
· Catalogue de l’exposition « ex-voto marins du Ponant » du musée de marine en 1975
· BNF Gallica archives du Ouest Eclair
· fiche sur la Luciline sur le site anglais des navires construit sur la Tyne
· Historique du problème du Méridien d’origine en France par Lucie La Garde dans la revue d’histoire des sciences en 1979
· Cahier de Cancale « La pêche aux ancêtres » les terre-neuviers Aristide Delarose
· Archives SHOM en ligne
Les pêcheurs bretons dont nous avons annoncé l’arrivée à Tabarca procèdent en ce moment à leur installation.
Les lecteurs du petit Journal se rappellent que le but que se proposent d’atteindre ces hardis pionniers est de fonder, sur un des points de la côte tunisienne, une colonie française, et, partant, d’assurer sur ces rivages méditerranéens, où les italiens et les espagnols se disputent la place, la prépondérance française.
Nos lecteurs se rappellent aussi que c’est le petit Journal qui, le premier, a encouragé cette entreprise, qui l’a favorisée dans une large mesure, en montrant aux pêcheurs bretons tout le parti qu’ils pourraient tirer des richesses incalculables de la mer qui baigne les côtes tunisiennes.
Sous la direction de M. Conseil, capitaine au long-cours, les braves gens qui viennent de débarquer à Tabarca vont attacher leur nom à une œuvre essentiellement démocratique.
Ne comptant que sur eux, ils vont se donner tout entiers, avec une activité infatigable, à une industrie dont la prospérité jusqu’ici n’était assurée que grâce au concours de puissants capitaux. Ils se proposent d’assurer la vente du produit de leur pêches, de fournir tout d’abord les marchés voisins de Tabarca, de se livrer ensuite au séchage de quelques espèces particulières de poissons et, le jour où ils auront réuni quelques économies, de faire des conserves de thon, de sardines, d’anchois, etc. L’un d’entre eux, M. Raymond, connait spécialement ce genre d’industrie.
Nous faisons les vœux les plus sincères pour le succès de cette œuvre démocratique que nous avons encouragée. Qu’on nous permette de le répéter. nous espérons qu’on parlera bientôt, en citant les pêcheurs breton de Tabarca, de la mer aux pêcheurs, comme on parlera de la mine aux mineurs, en citant les braves ouvriers des mines de Monthieux, et qu’on pourra les donner en exemple, les uns et les autres, à la grande masse des travailleurs.
Le premier soin des pêcheurs de Tabarca est d’installer dans l’île une construction légère où ils pourront réparer les avaries causées par la mer à leurs embarcations, et en construire de nouvelles au besoin.
Le brave Potric, un vieux loup de mer qui n’a pas son pareil dans tous les chantiers bretons renommés pour la construction des bateaux de pêche aura la direction de l’atelier. C’est un marin doublé d’un charpentier, et il jette ses filets à la mer avec la même dextérité qu’il manie le rabot et l’ébauchoir.
Le Tallec est un marin expérimenté et un pêcheur habile. Il frise la cinquantaine. il adore son métier. La mer qui lui a joué cependant de bien vilains tours, est pour lui une maitresse qu’il ne trahira jamais. Il n’est heureux que sur son bateau de pêche.
Raymond, Potric et Le Tallec sont mariés. Dans un mois, ils comptent bien qu’ils pourront inviter leurs femmes à venir les rejoindre à Tabarca.
Lojou et Briand n’ont pas trente ans, mais ils ont la valeur de leurs aînés. ils partent l’un et l’autre pour voir du pays et aussi pour tenter la fortune. ils ont de vieux parnets à nourrir et ils gagnent si peu en Bretagne ! Et puis M. Conseil leur a dit : « Nous allons montrer aux italiens ce que c’est qu’un pêcheur breton ! Et, dame, ils veulent démontrer que le pêcheur breton est le premier pêcheur du monde.
Le Boubennec et les deux Landois, Toussaint et Michel sont des jeunes gens de dix-huit à vingt ans. Michel Landois est déjà patron, c’est-à-dire qu’il avait, en Bretagne, sa barque, qu’il commandait. C’est un garçon actif, laborieux et très intelligent. Il nous disait, le jour du départ à Paris : « Venez à Tabarca dans six mois ; vous verrez ce que peuvent faire des bretons. nous aurons vingt bateaux de pêche et nous vendrons notre poisson à Marseille. »
Le Boubennec et Toussaint Landois sont connus à Lannion par leur intrépidité. En maintes circonstances, ils ont faits preuve d’un sang-froid extraordinaire. les tempêtes de la mer, les ouragans déchainés sur les flots, les trouvent impassibles dans leurs barques légères. Eux aussi ont de vieux parents à soutenir. Ils partent, disent-ils avec le désir de gagner quelques argents pour donner un peu d’aisance aux vieux.Tous quittent la France, leur Bretagne, pleins d’espérance et avec la volonté de faire œuvre utile pour eux et leur pays.
Leur initiative, secondée par les encouragements du ministre de la marine et de notre résident général en Tunisie, nous permet d’espérer que dans un avenir prochain, l’influence française s’exercera utilement sur toute l’étendue des côtes tunisienne et algériennes.
Que de richesses perdues pour nous du cap Milonia, qui limite à l’ouest, nos possesions algériennes, au Ras Adjir, à l’embouchure du Mogia, qui sépare la Tunisie de la Tripolitaine !
Que de richesses perdues pour nous sur ses rivages baignés par la Méditerranée, et dont nous pourrions si facilement devenir les maitres, si nous étions moins timides, si nous consentions à faire un effort sérieux pour agrandir notre domaine national et à étendre notre influence civilisatrice !
L’exemple donné par les pêcheurs bretons sera profitable. Ces hardis marins ouvrent une voie nouvelle, où s’engageront bientôt leurs frères de la vieille Armorique. Et quand ils reviendront dans le pays des fées et des korrigans, ils pourront dire avec fierté qu’ils ont lutté vaillament pour le triomphe de deux grande idées : l’extension de la patrie française et l’exploitation par les travailleurs seuls des richesses de la terre ou des eaux.
Thomas Grimm
Le petit journal du 12 février 1892
Epilogue de cette histoire :
En février 1892 9 pêcheurs du quartier maritime de Lannion s’installe bien à Tabarca, ils n’ont pas de bateaux ni de filets, au bout d’un certain temps les autorités française arrivent à leur fournir des embarcations et des filets les épouses de 2 pêcheurs rejoignent leur mari. Les pêcheurs touchent un salaire fixe, les débouchés pour le poison ne sont pas établis rapidement des nouvelles inquiétantes circulent sur leur sort, tel que les autorités se sentent obligées de rassurer la population en diffusant ce courrier du représentant du ministère des affaires étrangère dans la Régence de Tunis, dans la presse.
« Au mois de février dernier, un groupe de neuf marins de Lannion arrivait à Tunis sous la conduite du capitaine au long cours Conseil, qui avait conclu des arrangements avec une société française, légalement constituée, pour se livrer à Tabarka à la recherche et à la préparation de conserves des sardines, anchois et autres poissons, société représentée en Tunisie par MM. Oudin et Fourou de Paris.
Ces pêcheurs étant venus sans argent, sans barques et sans engins, la société s’empressa de leur fournir le nécessaire pour se mettre sans retard à l’ouvrage. Deux mois après, des difficultés s’étant élevées entre les représentants de la société et M. Conseil, celui-ci se retira et les pêcheurs qu’il avait enrôlés furent laissés libres de continuer leurs services à la société ou de rentrer en France aux frais de celle-ci.
Quatre d’entre eux optèrent pour le rapatriement ; les cinq autres contractèrent avec MM. Oudin et Fourou à des conditions plus loin énoncées.Dans l’impossibilité où elle était de se livrer à une exploitation sérieuse avec successivement d’autre pêcheurs et la colonie se trouve composée, à l’heure actuelle, de 20 personnes, savoir :·
Outre cette solde fixe, chaque pêcheur à droit à une part de pêche qui équivaut à 20% de la récolte.
Tout ce personnel est logé gratuitement dans les locaux en pierres situés sur l’îlot de Tabarka, cédés en location par le gouvernement tunisien, auquel ils appartiennent, à MM Oudin et Fourou, qui ont eu la charge de les réparer et de les aménager.
A sa dernière tournée d’inspection sur les côtes, effectuée à la fin juin dernier, l’attaché naval à cette résidence générale a constaté que le locaux étaient en bon état au point de vue de la commodité et de la salubrité.
La nourriture des pêcheurs restant à leur charge, le gouvernement du protectorat s’est attaché à leur venir en aide et a obtenu de l’autorité militaire que des vivres et médicaments de l’armée leur seraient fournis à titre remboursable. Des soins médicaux leur sont donnés gratuitement par un médecin militaire.
Ces facilités permettent à nos pêcheurs de vivre confortablement à un prix qui varie de 1fr à 1fr27 par jour.
Je m’empresse de porter ces renseignements à votre connaissance.
Pour le ministre et par autorisation : le ministre plénipotentiaire chargé par intérim de la direction des affaires politiques.
G. Hanotaux
Dépêche de Brest du 1er Septembre 1892
Commentaires :
Je n’ai pas retrouvé si les pêcheurs du quartier maritime de Lannion étaient de Locquémeau, Le Yaudet ou Trébeurden ou bien même Servel, les communes ou l’on trouvait des pêcheurs sardiniers.
L’entreprise n’est pas une réussite rapidement quelques pêcheurs demandent à rentrer, L’association avec des pêcheurs provençaux n’est certainement fameuse mais va perdurer quelque peu. Une famille de pêcheur du quartier maritime de Lannion se lance même dans l’élevage de porcs dans les bois, pour la consommation de leurs compatriotes. Globalement Cette expérience est un échec et début 1894, il ne reste sur place qu’un seul pêcheur trégorois lorsque la faillite de l’entreprise est prononcée.
Autres expériences de colonie de peuplement maritime pour valoriser la pêche ont existé sur les côtes de Tunisie, d’Algérie et du Rio del Oro. Tabarca est bien connu des pêcheurs italiens de Terrassini, qui venaient pour la saison de pêche à Tabarca, des pêcheurs de cette région d’Italie y feront souche.
Bréhat
Simple histoire de goémon
On sait que le goémon d’épave est la propriété du premier occupant.
Un beau matin, un inscrit maritime trouve au gourlan du goémon en pagaille. Il croche dedans et le mulonne. Puis trouvant pour lui seul la tâche trop pénible, vu la quantité, il appelle un camarade à la rescousse. Et tout deux tapent dans le tas. il y en avait, il y en avait … Quelle aubaine !
Survient un de nos plus grands conseillers municipaux, un des plus longs, qui devant le fait, reste ébahi, la mine plus longue encore …
- C’est à vous tout ça ?
- Oui, c’est à nous.
- Et vous avez tout marqué ?
- Bien sûr !
- C’est que, je vas vous dire, ajoute le grand conseiller, c’est moi qui l’ai coupé
- Quand ça ?
- Cette nuit.
- Cette nuit ? Mais c’est défendu de couper la nuit ! Comment ! Toi, un conseiller, tu coupes la nuit.
Tout le monde sait en effet que la coupe de nuit est rigoureusement interdire, même quand la coupe de jour est autorisée.
Le goémon coupé dans un aviz quelconque devait, avec le vent et la marée, venir au plein et notre gaillard n’avait plus qu’à le charger en charrette. ce n’était pas mal combiné, mais quand on coupe la nuit, on s’expose à rester endormi le matin. C’est ce qui est arrivé. et dam ! Comme tout le monde en ce moment termine la préparation culturale des derniers morceaux de terres qui recevront des patates, chacun est à l’affut du gourlan, et notre grand conseiller, fatigué de sa coupe nocturne, était resté dans son lit le matin et naturellement avait trouvé à la grève plus matinal que lui.
Bref, je ne sais quel accord intervint entre les intéressés. je crois que les premiers arrivés reçurent pour leur part quelques charretées de goémon transportées chez eux à l’œil jusqu’à leur porte.
Décidément la question du goémon empêche un conseiller de dormir … la nuit.
N’allez pas en conclure que je raconte cette histoire par haine, par parti-pris ou pour le malin plaisir d’embêter quelqu’un. je n’ai pas ces petitesses. je n’ai de haine ni de parti pris contre qui que ce soit. je n’ai de haine que contre les abus et les actes illégaux, contraires à l’intérêt général. En revanche, je n’ai, il est vrai de fétichisme pour personne. je ne m’occupe pas des individus pour lequel je professe la plus grande indulgence. Impossible d’exiger chez les autres une perfection qu’on est loin d’avoir soit même. La politique de personnes est absurde. Parlez-moi de la politique d’idées. Mais chacun doit y aller de son voyage quand il peut contribuer à créer plus de justice et plus de bien-être. Et mon récit n’a qu’un but : l’intérêt général. Un sympathique conseiller me reprochait dernièrement mon attitude dans ce journal. que diable voulez-vous, mon cher doyen, quand je vois des injustices ou des abus, des actes contraires à l’intérêt général, je ne peux pas me taire, je ne peux même pas m’empêcher de crier ce que je pense.
Or j’estime, et soit doit sans rancune aucune, qu’un conseiller doit donner le bon exemple et défendre l’intérêt général. En défendant l’intérêt général, il défend par là même ses intérêts particuliers. Mais celui qui ne voit d’abord que son intérêt personnel finit évidement par avoir des tendances contraires à l’intérêt de la commune.
N’est-ce pas que mon histoire est bien bonne, et qu’est-ce que vous en dites, messieurs les conseillers, de ce collègue qui devrait être le premier à respecter la loi ? Quelques personnes diront, sans conviction d’ailleurs : -Bah ! il s’est débrouillé. Vivons et laissons vivre !
Singulière moralité ! Mais alors et l’intérêt commun ! Et la loi ! et les décrets ! Et l’arrêté municipal sur la coupe du goémon qui ne porte il est vrai que la signature du maire, mais qui en fait, est l’émanation de la pensée des conseillers, puisque le maire n’est que l’exécuteur des décisions du conseil municipal !
J Gaspard
Dans Le Journal de Paimpol du 21 février 1909
Commentaires :
La récolte du goémon, ressource importante pour les iliens, a fait l’objet, partout sur la côte de Bretagne nord et encore plus dans les îles de nombreux conflits d’usage, et de conflits entre goémoniers.
Cet article mérite quelques commentaires et quelques explications. Pour comprendre distinguer il faut goémon épave de goémon de rive. Le goémon épave est celui qui arrive à l’échouage en haut de grève, l’auteur utilise le mot breton « gourlan » pour désigner la ligne d’échouage de la dernière pleine mer. Sur les côtes du Léon, à l’île de Batz « gourlen ».
Le goémon de rive est celui qui est coupé au sec à basse mer par la population. Ce goémon est réservé à la population de la commune et est géré par un règlement s’appuyant sur la coutume locale. Le conseil municipal décide en début d’année des dates de coupe pour l’années, généralement plusieurs marées du printemps allant de quelques jour à 1 ou 2 mois. La coupe se pratique donc à ces date entre le levé et couché du soleil ou plus exactement à l’extinction des phares. Le conseil municipal nome un ou plusieurs gardes goémoniers en charge de faire respecter les règlements et les habitudes locales. La répartition des zones de coupe peut être différente suivant les communes. A Bréhat on parle d « aviz » pour désigner une zone d’exploitation du goémon de rive réservée à une famille. Ce terme semble propre à Bréhat et vient peut-être du breton ar c’hiz la coutume mais ceci n’est qu’une hypothèse.
Le samedi 13 mars [1880], M. Duval, patron de chaland à Dinan, ramenait de St-Malo vers notre ville son bateau la « Ville de Saint-Malo » chargé de fonte et de savon, à destination de Rennes.
Arrivé près de l’endroit dit la Brebis, dans la rivière la Rance, les marins jetèrent l’ancre, et débarquèrent pour souper dans une auberge voisine.
Quand ils revinrent, leur étonnement fut extrême : le chaland avait disparu !
Il n’a pourtant pu être volé, pensèrent-ils ; alors il est coulé ! Mais il avait ses mâts et on n’aperçoit rien ; peut-être est-il tombé sur le côté ?
Le cas fut examiné de près ; on se perdait en conjectures. M. Duval, désolé, se voyait déjà ruiné par ce sinistre.
Cependant, ô bonheur ! Il apprit plus tard qu’un chaland sans équipage se trouvait arrêté à quelques lieues de ST-Malo, entre cette dernière ville et le cap Fréhel.
C’était la « Ville de Saint-Malo ». Son ancre s’était accrochée à un rocher et le chaland avait été retenu dans sa course vagabonde.
Il aurait pu cent fois se briser ; pourtant aucune avarie n’était survenue et le chargement était intact.
Pendant le souper des marins, le chaland, mal retenu par son ancre, avait été entrainé par la mer et s’en était allé vers le cap.
Journal le Dinannais repris dans le Journal de Paimpol
Commentaires :
Le patron Duval a vraiment de la chance, son chaland a dérivé avec le courant de jusant en sortant de la Rance en passant dans des endroits particulièrement dangereux avec de nombreux rochers et de forts courants dans l’ouest de l’embouchure de la Rance. L’équipage en soupant dans une auberge à la Richardais attendait, certainement, tranquillement la basse mer et la renverse de courant pour remonter la Rance.
Les chalands de Rance étaient des bateaux originaux par leur fonctionnement, maritime et fluvial en assurant le transport de marchandise entre Saint-Malo et Rennes. Ce sont à la fois des bateaux de charge adaptés aux canaux, avec un tirant d’eau limité une longueur et une largeur adaptées aux écluses mais aussi des bateaux de mer ou plus exactement d’estuaire avec une navigation à la voile avec leur deux voiles au tiers, et un peu de quille.
La frontière entre les deux monde est le port de Dinan, les chalands remontant sur Rennes y déposent leurs mats et leur voilure, Un équipages de 2 personnes un matelot un patron complété par un cheval est suffisant pour la navigation sur le canal d’île et Rance avec ses nombreuses écluses ; pour la partie maritime le patron embarquait souvent 2 ou 3 gars supplémentaires pour la manœuvre à la voile, à la perche en limite de vasière ou en remorque du canot dans l’estuaire.
Les chalands permettaient de livrer à Rennes des marchandises venant par la mer à Saint-Malo tel le charbon. Le « ville de Saint Malo » , lors de sa mésaventure est chargé de fonte et de savon, la fonte vient certainement d’Angleterre et le savon de Marseille, port de livraison des morutiers Malouin revenant souvent vers Saint-Malo avec un chargement de savon.
Le chaland « Ville de Saint-Malo » est un chaland de dimension moyenne il jauge 35,12tonneaux alors que les plus grands dépassent les 50 tonneaux, il a été construit en 1856 par le chantier d’Ollivier Leborgne sur la Rance à la Landriais , certainement sur les même gabari que le Ville de Rennes construit la même année qui lui jauge 35,31 tx mesure en douane 20,90m de longueur, 4,17m de large et, 1,54m de creux .
Le « Ville de Saint-Malo » a été dépecé en 1893 soit après 37 années de navigations, les chalands de Rance naviguant peu en mer ouverte et échouant à basse mer toujours sur des fonds meubles ou restant à flot, ils avaient une durée de vie importante, certains ont travaillé au transport pendant 60 années.
Bibliographie sur les chalands de Rance :
« Bateaux de Bretagne nord » Jean le Bot Editions des 4 seigneurs 1976
« Les chalands de la Rance » Michel Mauffret Editions Astoure 2005
« Un poison peu commode, c’est la torpille. L’autre jour, à Molène, un douanier de l’île Grande, Keréel, mettait à l’eau sa péniche, quant au milieu de l’entreprise il poussa un cri, et saisi d’un tremblement nerveux, tomba lourdement sur le dos. Sa douleur fut heureusement de courte durée. Revenu de sa première émotion, Keréel se trouva bientôt sur pied, jaloux de connaitre le mot de cette extraordinaire énigme.
Jugez donc de la stupéfaction de l’honorable fonctionnaire, à la recherche de son bourreau, en n’ayant devant lui qu’une plaine de sable désespérément uniforme. Seulement, à l’endroit même où la commotion avait lieu, un léger remous agitait la surface de la grève. Précieux indice pour un œil exercé ? Le douanier creusa, creusa, et finit par découvrir, tapi sous le sable, un poisson plat cartilagineux, ressemblant assez à la raie.
Quelques coups de roc, appliqués avec l’ardeur aussi inflexible que légitime de la vengeance, eurent raison de l’étrange animal, dont la nationalité fut aussitôt découverte. C’était une torpille. Son ventre, d’un beau rouge pourpré, était zébré de taches blanches ; la queue, sur les côtés de laquelle se trouve l’appareil électrique, grosse et surmontée de petites crêtes brunes . Mort, le poisson ne mesurait pas moins de deux pieds et demi. »
Journal « le propagateur des côtes du nord » du 23 septembre 1880
Commentaires :
Au XIXème siècle les douaniers sont très présent sur le littoral, le moindre petit port a un effectif de douanier avec ses marins armant de longs canots rapides à l’aviron appelés péniches ou bien encore pataches.
La torpille, ce poisson électrique est assez courant sur les côtes de Bretagne nord. Il existe plusieurs espèce de torpille Sa décharge électrique pouvant atteindre 230 Volts et jusqu’à 30 Ampère bien que brève est violente et provoque une sensation très désagréable, j’en ai fait aussi la douloureuse expérience en en retirant des spécimens capturés dans mon trémail. Celle rencontrée par ce douanier à l’île Molène durant l’été 1880 fait 2 pieds et demi soit 76 cm, une belle taille pour ce type de poisson qui est généralement plus petit sur nos côtes.
Dans les années 1880 1890, il n’est pas un repas de banquet sans la traditionnelle langouste ou le homard ! Ces deux crustacés, en concurrence, inondent le marché parisien et des autres grandes villes françaises. Le homard est à la mode et les grands restaurants l’accommodent à toutes les sauces, homard Thermidor, homard à l’américaine, homard à la nantaise ou bien encore à la Surcouf ; On en fait des spectacles et même vers 1895 une chanson populaire : En voulez-vous des z’homards
Paroles
1. L’aut’ matin la gross’ mèr’ Peaud’balle,
Qui sortait d’arch’ ter des panais,
Demande à un’ dam’ de la Halle :
"Avez-vous du poisson bien frais ?"
La marchand’, les poings sur les hanches,
À cett’ question lèv’ le museau
Et d’sa plus bell’ voix des dimanches
Lui répond par ce cri nouveau :
Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poilaux pattes !
2. Au mariag’ de ma sœur Adèle,
Le mair’, qu’avait des yeux d’lain,
Lui dit : "consentez-vous, mam’selle,
A prendre pour époux m’sieu Taupin ?"
La jeun’ vierg’ dont l’âme est si pure !
Rougit comm’ le fruit du c’risier ,
Baiss’ la tête et doucement murmure
En r’niflant sa fleur d’oranger :
Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poilaux pattes !
3. Comme sa moitié v’nait d’être mère,
Hier mon voisin le grêlé
Arrive et demand’ s’il est père
D’un’ fillette ou d’un p’tit salé.
Croyant bien faire un’ chouett’ surprise
Au mari qui rentrte à propos,
La sag’ femm’, madame Héloïse,
Dit en lui montrant quat’ crapauds :
Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poilaux pattes !
4. Dans un’ séance très rageuse
A la chambre des Députés,
La Droit’ grinc’, la Gauche est rageuse,
On s’apprête à s’taper su’l’nez !
Ayant vain’ment s’coué sa sonnette
Afin d’apaiser l’ouragan,
Le président s’couvre la tête,
Et crie aux faiseurs de boucan :
Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poilaux pattes !
5. L’aut’ jour je sonne au téléphone
La préposé’, me crie : "Allô !"
Je demande à cett’ jeun’ personne
Comunication illico.
J’attends et bientôt j’communique
En demandant très poliment :
"Est-c’ bien vous, monsieur Fessdebique"
Mais on m’dit en s’tirbouchonnant :
Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poilaux pattes !
6. Gobé seul’ment pour sa galette,
Un vieux marcheur, lundi dernier,
Rigolait avec un’ poulette
En cabinet particulier.
Ils étaient bien heureux d’la sorte,
Quand tout à coup v’là qu’le garçon
Indiscrètement ouvre la porte
Et s’met à leur dir’ sans façon :
Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poilaux pattes !
7. Dans un bal d’artist’s un bonhomme
De la ligue du Pèr’ la Pudeur
S’était glissé, pour voir, en somme,
Les dam’s décoll’té’s jusqu’au cœur.
Le reconnaissant, un’ brunette
En déshabillé suggestif
Lui dit tout en l’vant la gambette
Juste à la hauteur de son pif :
Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poilaux pattes !
8. On v’nait de juger sans faiblesse
Un misérabl’ marchand d’plumeaux
Qu’avait coupé un’ vieill’ négresse
En quatre-vingt-dix-neuf morceaux.
"Qu’ajoutez-vous pour vot’ défense."
D’mande le président au bandit.
Celui-ci comm’ réponse lui lance
Sa savat’ sur l’œil et lui dit :
Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poilaux pattes !
9. Voyant un’ marchand’ très gentille
Offrir de superbes crustacés,
Un brave agent dont l’œil pétille
Lui dit : "Circulez !Circulez !"
Mais la bell’, gêné’ dans sa vente,
Répond d’un charmant petit air
Pendant qu’à c’gardien elle présente
Un’ langouste qui lui pinc’ le blair’
Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poilaux pattes !
10. Dans un p’tit théâtr’ de province
Dernièr’ment on jouait WATERLOO,
Et vers la fin d’ cett’ pièce ah ! mince
Qu’on s’canardait à coups d’flingot
Bref la Garde est sommé’ d’se rendre
Par un des généraux anglais,
Mais jusqu’au bout voulant s’défendre,
Cambronn’ répond en bon français ;
Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poilaux pattes !
Mais d’où viennent ces homards qui envahissent Paris ?
La presse tient à préciser d’où viennent ces fameux z’homards et nous trouvons dans le journal Gaulois du 02 juillet 1895 l’article suivant :
« La chanson-scie, que les camelots crient depuis quelques jours sur les boulevards, « Voulez-vous des z’homards ? » remet à la mode le crustacé que Jules Janin a baptisé par inadvertance le cardinal des mers.
On s’étonne de la quantité prodigieuse et régulière de ces animaux qui arrive chaque jour à Paris, et l’on se demande d’où ils peuvent venir. La régularité des envois de homards et de langouste vient de ce que les fournitures sont faites, non point au hasard du coup de filet, mais par un immense réservoir, le vivier de Roscoff.
Le vivier de Roscoff, une des curiosités de la côte bretonne, ne renferme pas moins de cinquante à soixante mille homards, sans cesse renouvelés par la pêche.
Paris, pour sa part, en consomme de mille à douze cent par jour et la Russie, la Belgique, l’Allemagne s’approvisionne également à Roscoff.
Voulez-vous des z’homards –Ah ! Les sales bêtes ! »
Le photographe Muller, qui exerçait à Morlaix au début du XXème siècle, a saisi cette impressionnante scène, le nom de ce navire, la date et la localisation de cet échouement sont restées longtemps, pour moi, des questions non résolues. Une observation attentive de la photo m’a toutefois permis d’en identifier le lieu sur la rivière de Morlaix, ce vapeur est échoué juste en dessous du château de Lannuguy quelques centaine de mètres en amont du pont de la Pennelé et de l’embranchement de la montée vers Taulé.
Une recherche dans les journaux d’époque le Ouest Eclair et la dépêche de Brest a permis d’identifier le navire C’est le Havrais capitaine Frot.
Le port de Morlaix était fréquenté par les voiliers de cabotage, par les vapeurs de la ligne Le Havre Morlaix à cette époque l’Edouard Corbière et le Finistère et également des vapeurs de cabotage comme Le Havrais. Nous n’avons pas de précision sur les circonstances de cet échouement à cet endroit, la courbe de la vasière déborde bien sur le chenal et est actuellement balisé par une balise bâbord. Pour l’arrivée au port de Morlaix, les voiliers de cabotage et les vapeurs prennent successivement deux pilotes, un premier pilote agréé pour la navigation dans la baie, ce peut être un pilote de l’île de Batz, de Roscoff ou de Primel, à Locquénolé changement de pilote pour le pilote de la rivière. Cet échouement c’est certainement produit à une heure proche de la pleine mer le vapeur c’est planté dans la vase et n’a pu être dégagé de suite et les marées diminuant il est resté à cette place pendant une dizaine de jours.
Cet échouement ce termine bien, il ne semble pas que la mer a envahie la salle des machines, nous avons le récit du renflouement dans la dépêche de Brest du 01 octobre 1902 :
« Le vapeur Havrais, échoué dans la rivière de Morlaix depuis le dimanche 21 septembre, a été renfloué aujourd’hui, à la marée de quatre heures.
depuis son échouement, des chalands des ponts et chaussées avaient opéré au déchargement du bateau et amené les marchandises qu’il contenait sur le quai du bassin.
Un chenal, depuis quelques jours, avait été pratiqué à bâbord, à tribord et à l’avant du navire, pour faciliter son renflouement ; mais ce chenal, fatiguant énormément le bateau, le capitaine, voyant que les marées devenaient de plus en plus fortes, voulut mettre fin à cette situation qui menaçait de s’éterniser.
Il appela donc à son secours le Paul Boyton remorqueur de Morlaix, dont les Morlaisiens connaissent les qualités nautiques.
A quatre heure exactement, au moment où nous arrivons sur les lieux, le Paul Boyton n’attend plus que le commandement de : « Tirez ».
la machine du Havrais est sous pression. D’après un ordre venu du bateau en détresse, le Paul Boyton fait tout à coup machine en avant, pendant que le Havrais fait machine en arrière.
Ces efforts combinés furent couronnés de succès. Grâce à cette manœuvre habilement conduite, le Havrais, un instant après, flottait librement dans la rivière de Morlaix. il a regagné le bassin, pour opérer le chargement des marchandises débarquées. »
Paimpol le 5 février 1884
Le pilote Floury a trouvé un grand trois mâts grec abandonné en par son équipage. Il est chargé de froment.
Voici les détails qui nous sont communiqués sur cette curieuse trouvaille :
Le pilote Sylvestre Floury, de Ploubazlanec avait pris la mer lundi matin [ 4 février 1884] . Ayant aperçu un grand trois-mâts dans les environs de l’île de Bréhat, il courut dessus pour faire au capitaine ses offres de pilote.
En approchant du navire, il ne remarqua rien d’anormal, il héla l’équipage. Pas de réponse. Alors il monta à bord, il s’aperçut à sa grande stupéfaction que le navire était entièrement abandonné. Depuis quand et comment, c’est ce qu’on n’a pas encore pu préciser.
M. Floury parvint avec son petit équipage à conduire le navire en rade de Paimpol.
Aussitôt informé, M. Le commissaire de l’inscription maritime se rendit à bord. De son enquête, il résulte que le navire se nomme Franz-Covacevich, du port de Syra, capitaine Mitrapoulos, chargé de froment de Bulgarie à ordre de Cork, Falmouth ou Plymouth.
La cargaison, qui parait en bon état, est évaluée à 6 ou 700 tonnes. Le port d’expédition est Varna. Le navire, nous l’avons dit, naviguait sous pavillon grec, mais tous ses papiers sont écrits en italiens Rien n’indique la cause de l’abandon du navire. Les bruits les plus invraisemblables circulent à Paimpol. On n’a aucune nouvelle de l’équipage.
On peut estimer le navire et la cargaison, au bas mot, à plus de 100 000 fr. C’est donc un véritable coup de fortune pour le pilote Floury. D’après la loi et les règlements, un tiers du corps et de la cargaison appartient au sauveteur d’épaves recueillies en mer.
Journal de Paimpol du 10 février 1884.
Un bel exploit de la part du pilote Sylvestre Floury de ramener avec son équipage réduit certainement à 3 hommes un trois-mâts de 500 tonneaux et de le mouiller en rade. En effet un sloup armé au pilotage a souvent en plus du pilote un matelot et un mousse ou un novice
Le journal le XIXème nous apporte les compléments suivants sur le navire : il avait un équipage de 11 hommes de plusieurs nationalités. Parti de Varna, il a fait escale à Constantinople et à Gilbraltar « d’où il était parti en patente nette le 15 janvier dernier ».
« Tout était en désordre à bord du navire. On suppose que l’équipage, pris de panique, a dû l’abandonner ou a été enlevé par la mer. Une seule de ses chaloupes, et c’est la plus petite, manquant à bord. Les pompes ne fonctionnaient plus ; l’équipage en avait établi une de fortune. »
Le navire reste en rade de Paimpol quelques semaines puis est remorqué dans le port de Paimpol et attire de nombreux visiteurs.
« Le trois-mâts grec Franz Covacevich est entré dans notre port jeudi matin [6 mars 1884], remorqué par un vapeur anglais à roues, venu de Jersey à cette intention.
Depuis ce jour, ce navire est l’objet de visite continuelles de la part de nos concitoyens et des des nombreux étrangers venus à notre Foire-Neuve.
Jamais Paimpol n’avait vu un bâtiment d’un aussi fort tonnage. Nos goélettes islandaise ont l’air de chaloupes à côté de ce navire. »
Journal de Paimpol du 06 mars 1884
Le chargement de blé est rapidement vendu pour éviter toute détérioration Et quelques semaines plus tard le navire est mis en vente, le 25 mars 1884, sous la responsabilité du commissaire de l’inscription maritime de Paimpol : J. Hervé.. En voici L’annonce dans le journal de Paimpol.